Le langage



Notions également traitées dans ce chapitre : La conscience et l'inconscient - La vérité - L'Etat

Une image, un texte



Magritte, La clé des songes, 1927.

Nous appelons signe la combinaison du concept et de l'image acoustique : mais dans l'usage courant ce terme désigne généralement l'image acoustique seule, par exemple un mot (arbor, etc.). On oublie que si arbor est appelé signe, ce n'est qu'en tant qu'il porte le concept "arbre", de telle sorte que l'idée de la partie sensorielle implique celle du total. L'ambiguïté disparaîtrait si l'on désignait les trois notions ici en présence par des noms qui s'appellent les uns les autres tout en s'opposant. Nous proposons de conserver le mot signe pour désigner le total, et de remplacer concept et image acoustique respectivement par signifié et signifiant(...) Le lien unifiant le signifiant et le signifié est arbitraire, ou encore, puisque nous entendons par signe le total résultant de l'association d'un signifiant à un signifié, nous pouvons dire plus simplement : le signe linguistique est arbitraire. Ainsi l'idée de "sœur" n'est liée par aucun rapport intérieur avec la suite de sons s-ö-r qui lui sert de signifiant ; il pourrait être aussi bien représenté par n'importe quel autre : à preuve les différences entre les langues et l'existence même de langues différentes (...) Le mot arbitraire appelle aussi une remarque. Il ne doit pas donner l'idée que le signifiant dépend du libre choix du sujet parlant (on verra plus bas qu'il n'est pas au pouvoir de l'individu de rien changer à un signe une fois établi dans un groupe linguistique) ; nous voulons dire qu'il est immotivé, c'est-à-dire arbitraire par rapport au signifié, avec lequel il n'a aucune attache naturelle dans la réalité.

Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, 1916.


Cours

  1. Le langage est-il "le propre de l'homme" ?

  2.     Le langage est-il une spécificité humaine ? Est-il "le propre de l'homme", comme on le dit traditionnellement ? Ou bien d'autres espèces ont-elles également accès à cette faculté ? Tout dépend évidemment comment on définit le langage.
        Dans le sens le plus large, le langage est la faculté de s'exprimer par le moyen de signes. Dans ce sens, il semble que les humains ne soient pas les seuls à détenir cette capacité : de nombreux animaux disposent de moyens de communiquer leurs sentiments, ou des informations concernant telle ou telle donnée de leur environnement : présence d'une source de nourriture, dangers, "disponibilité" pour la reproduction etc... (voir vidéo ci-dessous).
        Mais peut-on dire qu'il s'agit réellement d'un langage ou du langage, au même titre que l'humain ? La question divise aujourd'hui encore les spécialistes qui travaillent sur ces questions, qu'ils soient linguistes, philosophes ou scientifiques spécialistes du comportement ou de la psychologie animale.

        Vous trouverez ci-dessous, quelques éléments ou références de base pour commencer à réfléchir :

    - Pour une présentation de la position classique sur le sujet, qui a longtemps prévalue dans les esprits, voir ce texte de Descartes tiré du Discours de la méthode.
    - Pour un début de remise en question du dogme d'une différence radicale entre les humains et les animaux, voir les travaux pionniers de Karl Von frisch sur la communication chez les abeilles : voir ici
    - Travaux dont la portée a toutefois été minorée par le linguiste Émile Benveniste, qui explique, dans ce texte, tout ce qui distingue la communication chez les abeilles du langage humain.
    - Vous pouvez également vous documenter sur les expériences réalisées dès les années 60 avec des chimpanzés ou des gorilles :
    Des scientifiques ont en effet utilisé divers moyens pour essayer d'apprendre les bases du langage humain à certains de ces animaux : langage des signes, ordinateurs... Les résultats ont été spectaculaires pour des singes dont les noms sont devenus célèbres : Washoe, Kanzi, Koko par exemple. Il se sont avérés capables d'apprendre plusieurs centaines de signes (de mots), et de les combiner dans des phrases. Mais, là aussi, les conclusions de ces recherches ont donné lieu à de nombreux débats et interprétations (cf. par exemple cet article).

    - Pour une synthèse sur ces questions, voici une vidéo de la chaîne Linguisticae :



  3. Langage et construction du sujet

  4. Quel rôle joue le langage, l'interlocution, dans la constitution du sujet comme tel ainsi que dans la prise de conscience de l'existence ou la constitution d'autrui comme d'une réalité extérieure à moi ? Quels liens entre langage et violence ? N'est-ce pas en parlant avec l'autre qu'on le reconnaît comme un égal, comme un sujet ? Parler ne nous fait-il pas hommes ? Il s'agit ici de réfléchir sur la dimension éthique du langage.

    1. Parole et conscience de soi :
    2. - Que signifie dire "Je" ? Que découvre l'enfant, qui dans son développement accède à cette faculté ? Lire ce texte de Kant.
      - La subjectivité se construit dans l'inter-subjectivité, dans le rapport à l'autre, donc dans l'interlocution : Benveniste, Est ego qui dit "ego".
      - Penser à la psychanalyse dont le but est de restaurer le sujet dans sa position de sujet grâce à sa parole : cf. cours sur l'inconscient et cette phrase célèbre de Freud : "Wo Es war, soll Ich werden" que l'on peut traduire, littéralement, par "Là où le ça était, le je doit advenir".

    3. La rencontre d'autrui dans le dialogue :
    4. - Texte de Marcel Conche tiré de son livre Le fondement de la morale.
      - Martin Buber, Solitude et vie dialogique.


  5. Peut-on penser sans les mots ?

  6. Quels sont les liens entre la pensée et le langage ? Une pensée peut-elle exister avant ou en dehors des mots ? Ou bien à l'inverse doit-on considérer que la pensée n'existe réellement que dans les mots, qu'elle se réalise en eux ?

    - Hegel, Le langage et la pensée.
    - Bergson, Le langage et l'ineffable.


  7. Parler est-ce le contraire d'agir ?

    1. La parole thérapeutique :
    2. Rappel du chapitre sur l'inconscient : La psychanalyse comme cure par la parole ou talking cure selon la patiente Anna O. elle-même : voir ce texte et en particulier le §6.

    3. Quand dire c'est faire :
    4. Les énoncés performatifs découverts par le philosophe J.L. Austin dans le livre Quand dire, c'est faire (cf notice sur ce livre sur le site de Sciences Humaines).

    5. Langage et politique :
    6. L'usage du langage pour séduire, persuader ou manipuler : des sophistes dénoncés déjà par Platon à l'ère de communication et de la publicité actuellement, en passant par l'utilisation qu'ont su en faire tous les totalitarismes... Etre maître des mots pour être maître des pensées :
      • cf. dans le domaine littéraire, la novlange imaginée par Georges Orwell dans son roman 1984. Pour une présentation du projet de Novlangue et ses implications philosophiques, voir la vidéo suivante de la chaîne Monsieur Phi :


      • Voir également le livre écrit par le philologue Victor Klemperer pendant la deuxième guerre mondiale : LTI, la langue du IIIe Reich, ou le documentaire qui lui a été consacré La langue ne ment pas, par Stan Neumann (2003) :




  8. Langage et vérité :

  9. En quoi la vérité est-elle "fille de discussion" comme dit Bachelard ? Quel lien y'a-t-il entre les mots et les choses qu'ils désignent ? Nous permettent-ils de saisir le réel ? Peut-on tout dire ?

    - Toute véritable pensée est dialogique, c'est-à-dire se fait dans une sorte de dialogue - au minimum, "de l'âme avec elle-même" comme disait Platon, chez qui la pensée justement ou le progrès vers la vérité se déroulait dans des dialogues entre Socrate et divers interlocuteurs.
    - Cf. Montaigne et son éloge de "l'art de conférer" dans les Essais (Livre III, chapitre VIII). Lire le texte sur wikisource.
    - Mais aussi par exemple, Kant et l'usage public de la raison qui seul peut nous faire accéder aux Lumières (cf. Qu'est-ce que les Lumières ?); ou encore ce texte dans lequel Kant énonce ce qu'il appelle les maximes du sens commun qui doivent permettre à l'homme de mieux penser, en particulier en se mettant à la place d'autrui.
    - Voir également dans le cours sur la vérité, la partie intitulée "Vérité et inter-subjectivité critique" : sur le fait que dans les sciences également les discussions, les polémiques, les controverses sont le moyen de parvenir à la vérité; comme le dit Bachelard, "La vérité est fille de discussion".

Compléments :

Dernière mise à jour : 04/03/2021