Freud

Le refoulement : un exemple et une image.

Je me limiterai à l’exposé d’un seul cas, dans lequel les conditions et l’utilité du refoulement sont clairement révélées. Néanmoins, je dois encore écourter ce cas et laisser de côté d’importantes hypothèses. – Une jeune fille avait récemment perdu un père tendrement aimé, après avoir aidé à le soigner – situation analogue à celle de la malade de Breuer. Sa sœur aînée s’étant mariée, elle se prit d’une vive affection pour son beau-frère, affection qui passa, du reste, pour une simple intimité comme on en rencontre entre les membres d’une même famille. Mais bientôt cette sœur tomba malade et mourut pendant une absence de notre jeune fille et de sa mère. Celles-ci furent rappelées en hâte, sans être entièrement instruites du douloureux événement. Lorsque la jeune fille arriva au chevet de sa sœur morte, en elle émergea, pour une seconde, une idée qui pouvait s’exprimer à peu près ainsi : maintenant il est libre et il peut m’épouser. Il est certain que cette idée, qui trahissait à la conscience de la jeune fille l’amour intense qu’elle éprouvait sans le savoir pour son beau-frère, la révolta et fut immédiatement refoulée. La jeune fille tomba malade à son tour, présenta de graves symptômes hystériques, et lorsque je la pris en traitement, il apparut qu’elle avait radicalement oublié cette scène devant le lit mortuaire de sa sœur et le mouvement de haine et d’égoïsme qui s’était emparé d’elle. Elle s’en souvint au cours du traitement, reproduisit cet incident avec les signes de la plus violente émotion, et le traitement la guérit.

J’illustrerai le processus du refoulement et sa relation nécessaire avec la résistance par une comparaison grossière. Supposez que dans la salle de conférences, dans mon auditoire calme et attentif, il se trouve pourtant un individu qui se conduise de façon à me déranger et qui me trouble par des rires inconvenants, par son bavardage ou en tapant des pieds. Je déclarerai que je ne peux continuer à professer ainsi; sur ce, quelques auditeurs vigoureux se lèveront et, après une brève lutte, mettront le personnage à la porte. Il sera « refoulé » et je pourrai continuer ma conférence. Mais, pour que le trouble ne se reproduise plus, au cas où l’expulsé essayerait de rentrer dans la salle, les personnes qui sont venues à mon aide iront adosser leurs chaises à la porte et former ainsi comme une « résistance ». Si maintenant l’on transporte sur le plan psychique les événements de notre exemple, si l’on fait de la salle de conférences le conscient, et du vestibule l’inconscient, voilà une assez bonne image du refoulement.

Freud, Cinq leçons sur la psychanalyse, (deuxième leçon), 1909

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