Russell (Bertrand)

Science et religion (4) : Observation et autorité

Une différence importante entre le point de vue médiéval et celui de la science moderne concerne la question de l’autorité. Pour les scolastiques, la Bible, les dogmes de la foi chrétienne, et (presque au même degré) les doctrines d’Aristote, étaient indiscutables : la pensée originale, et même l’étude des faits, ne devaient pas franchir les limites fixées par ces frontières immuables de l’audace intellectuelle. Les antipodes sont-ils habités ? La planète Jupiter a-t-elle des satellites ? Les corps tombent-ils à une vitesse proportionnelle à leur masse ? Ces problèmes devaient être résolus, non par l’observation, mais par déduction à partir d’Aristote ou des Écritures. Le conflit entre la théologie et la science a été en même temps un conflit entre l’autorité et l’observation. Les hommes de science ne voulaient pas qu’on crût à une proposition parce que telle autorité importante avait affirmé qu’elle était vraie : au contraire, ils faisaient appel au témoignage des sens, et soutenaient uniquement les doctrines qui leur paraissaient reposer sur des faits évidents pour tous ceux qui voudraient bien faire les observations nécessaires. La nouvelle méthode obtint de tels succès, tant pratiques que théoriques, que la théologie fut peu à peu forcée de s’adapter à la science. Les textes bibliques gênants furent interprétés d’une manière allégorique ou figurative ; les protestants transférèrent le siège de l’autorité en matière de religion, d’abord de l’Église et de la Bible à la Bible seule, puis à l’âme individuelle. On en vint peu à peu à reconnaître que la vie religieuse ne dépend pas de prises de position sur des questions de fait, comme par exemple l’existence historique d’Adam et d’Ève. Ainsi, la religion, en abandonnant les bastions, a cherché à garder la citadelle intacte : il reste à voir si elle y a réussi.
Russell (Bertrand), Science et religion, ch.1, 1935

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