Kant

Raison et instinct

Dans la constitution naturelle d'un ĂȘtre organisĂ©, c'est-Ă -dire d'un ĂȘtre conformĂ© en vue de la vie, nous posons en principe qu'il ne se trouve pas d'organe pour une fin quelconque, qui ne soit du mĂȘme coup le plus propre et le plus accommodĂ© Ă  cette fin. Or, si dans un ĂȘtre douĂ© de raison et de volontĂ© la nature avait pour but spĂ©cial sa conservation, son bien-ĂȘtre, en un mot son bonheur, elle aurait bien mal pris ses mesures en choisissant la raison de la crĂ©ature comme exĂ©cutrice de son intention. Car toutes les actions que cet ĂȘtre doit accomplir dans cette intention, ainsi que la rĂšgle complĂšte de sa conduite, lui auraient Ă©tĂ© indiquĂ©es bien plus exactement par l'instinct, et cette fin aurait pu ĂȘtre bien plus sĂ»rement atteinte de la sorte qu'elle ne peut jamais l'ĂȘtre par la raison; et si Ă  une telle crĂ©ature la raison devait par surcroĂźt Ă©choir comme une faveur, elle n'aurait dĂ» lui servir que pour faire des rĂ©flexions sur les heureuses dispositions de sa nature, pour les admirer, pour s'en rĂ©jouir (...), mais non pour soumettre Ă  cette faible et trompeuse direction sa facultĂ© de dĂ©sirer et pour se mĂȘler gauchement de remplir les desseins de la nature; en un mot, la nature aurait empĂȘchĂ© que la raison n'allĂąt verser dans un usage pratique et n'eĂ»t la prĂ©somption, avec ses faibles lumiĂšres, de se figurer le plan du bonheur et des moyens d'y parvenir; la nature aurait pris sur elle le choix, non seulement des fins, mais encore des moyens mĂȘmes, et avec une sage prĂ©voyance elle les eĂ»t confiĂ©s ensemble simplement Ă  l'instinct.
Kant, Fondements de la mĂ©taphysique des mƓurs , 1785

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