Garcia (Tristan)

Publicité, consommation et promesse d'intensité

Il suffit d’entendre les mots qui nous sont adressés quotidiennement par les marchandises que nous consommons. Dans le monde contemporain, la moindre proposition de plaisir est une petite promesse d’intensité : la publicité n’est rien d’autre que le langage articulé de cette griserie de la sensation. Ce qui nous est vendu, ce n’est pas seulement la satisfaction de nos besoins, c’est la perspective d’une perception augmentée et d’un progrès à la fois mesurable et inestimable d’un certain plaisir sensuel. Le chocolat (« intense 86 % »), l’alcool (« Intense Vodka »), les crèmes glacées (« Magnum intense »), les goûts et les fragrances, les parfums sont « intenses » ; on juge ainsi des expériences, des moments, des visages. Par un anglicisme de plus en plus fréquent, on affirme même de quelqu’un de remarquable qu’il est « intense ». On le dit aussi bien de tout ce qu’on a consommé de fort, de soudain et d’original. On pourrait croire que l’intensité relève donc du vocabulaire dominant du monde marchand. Mais pas seulement. Le terme a ceci d’étonnant qu’il est partagé par tous les camps. Les ennemis idéologiques qui s’affrontent sur la scène de notre époque ont au moins cet idéal en commun : la recherche d’une intensité existentielle. Libéraux, hédonistes, révolutionnaires, fondamentalistes ne s’opposent peut-être que sur le sens de cette intensité dont notre existence a besoin. La société de consommation et la culture hédoniste vendent des intensités de vie, mais les plus radicaux qui s’y opposent promettent aussi de l’intensité, une intensité inquantifiable cette fois et qui ne se marchande pas, un supplément d’âme que la société des biens matériels ne serait plus en mesure de fournir aux individus.
Garcia (Tristan), La vie intense, 2016

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