Kant

Le jugement de goût est esthétique

Pour décider si une chose est belle ou ne l'est pas, nous n'en rapportons pas la représentation à son objet au moyen de l'entendement et en vue d'une connaissance, mais au sujet et au sentiment du plaisir ou de la peine, au moyen de l'imagination (peut-être jointe à l'entendement). Le ju­gement de goût n'est donc pas un jugement de connaissance; il n'est point par conséquent logique mais esthétique, c'est-à-dire que le principe qui le détermine est purement subjectif. Les représenta­tions et même les sensations peuvent toujours être considérées dans une relation avec des objets (et c'est cette relation qui constitue l'élément réel d'une représentation empirique); mais il ne s'agit plus alors de leur relation au sentiment du plaisir et de la peine, laquelle ne désigne rien de l'objet, mais simplement l'état dans lequel se trouve le sujet affecté par la représentation.

Se représenter par la faculté de connaître (d'une manière claire ou confuse) un édifice régulier, bien approprié à son but, c'est tout autre chose qu'a­voir conscience du sentiment de satisfaction qui se mêle à cette représentation. Dans ce dernier cas, la représentation est tout entière rapportée au sujet, c'est-à-dire au sentiment qu'il a de la vie et qu'on désigne sous le nom de sentiment de plaisir ou de peine : de là, une faculté de discerner et de juger, qui n'apporte rien à la connaissance, et qui se borne à rapprocher la représentation donnée dans le sujet de toute la faculté représentative dont l'es­prit a conscience dans le sentiment de son état. Des représentations données dans un jugement peuvent être empiriques (par conséquent esthétiques); mais le jugement même que nous formons au moyen de ces représentations est logique, lorsqu'elles y sont uniquement rapportées à l'objet. Réciproque­ment, quand même les représentations données seraient rationnelles, si le jugement se borne à les rapporter au sujet (à son sentiment), elles sont esthétiques.

Kant, Critique de la faculté de juger, Analytique du beau, §1, 1790

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