Prost (Antoine)

L'historien produit des faits à partir de traces

Comme procédé de connaissance, l'histoire est une connaissance par traces. Comme le dit joliment J.Cl. Passeron, c'est "un travail sur des objets perdus". Elle procède à partir des traces que le passé a laissées, d'"informations" vestigiales solidaires de contextes non directement observables". Le plus souvent il s'agit de documents écrits : archives, périodiques, ouvrages, mais il peut s'agir aussi d'objets matériels : une pièce de monnaie ou une poterie dans une sépulture par exemple, ou, plus près de nous, des bannières de syndicats, des outils, des cadeaux offerts à un ouvrier qui prend sa retraite... Dans tous les cas, l'historien effectue un travail sur les traces pour reconstituer les faits. Ce travail est constitutif de l'histoire; en conséquence, les règles de la méthode critique qui le gouvernent sont, au sens propre du mot, fondamentales.

On comprend mieux alors ce que disent les historiens quand ils parlent des faits. Un fait n'est rien d'autre que le résultat d'un raisonnement à partir de traces suivant les règles de la critique. Il faut l'avouer, ce que les historiens appellent indifféremment des "faits historiques" constitue un véritable "bazar", digne d'un inventaire à la Prévert. Voici par exemple quelques faits : Orléans a été libéré par Jeanne d'Arc en 1429; la France était le pays le plus peuplé d'Europe à la veille de la Révolution; (...) l'usage des robes blanches pour les mariées s'est répandu sous l'influence des grands magasins dans la seconde moitié du XIXe siècle; la législation antisémite de Vichy ne lui a pas été dictée par les allemands... Qu'y a-t-il de commun entre tous ces "faits" hétéroclites ? Un seul point : ce sont des affirmations vraies, parce qu'elles résultent d'une élaboration méthodique, d'une reconstitution à partir de traces.

Prost (Antoine), Douze leçons sur l'histoire, 1996

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