Alain

Foi et croyance

Il y a croire et croire, et cette différence paraît dans les mots croyance et foi. La différence va même jusqu'à l'opposition ; car selon le commun langage, et pour l'ordinaire de la vie, quand on dit qu'un homme est crédule, on exprime par la qu'il se laisse penser n'importe quoi, qu'il subit l'apparence, qu'il subit l'opinion, qu'il est sans ressort. Mais quand on dit d'un homme d'entreprise qu'il a la foi, on veut dire justement le contraire. Ce sens si humain, si clair pour tous, est dénaturé par ceux qui veulent être crus. Car ils louent la foi, ils disent que la foi sauve, et en même temps ils rabaissent la foi au niveau de la plus sotte croyance. Ce nuage n'est pas près de s'éclaircir. Mettons-nous dedans ; ce n'est déjà plus qu'un brouillard. On discerne quelques contours, c'est mieux que rien.

Dans le fait ceux qui refusent de croire sont des hommes de foi ; on dit encore mieux de bonne foi, car c'est la marque de la foi qu'elle est bonne. Croire à la paix, c'est foi ; il faut ici vouloir ; il faut se rassembler tout, comme un homme qui verrait un spectre, et qui se jurerait à lui-même de vaincre cette apparence. Ici il faut croire d'abord, et contre l'apparence ; la foi va devant ; la foi est courage. Au contraire croire à la guerre, c'est croyance ; c'est penser agenouillé et bientôt couché. C'est avaler tout ce qui se dit ; c'est répéter ce qui a été dit et redit ; c'est penser mécaniquement. Remarquez qu'il n’y a aucun effort à faire pour être prophète de malheur ; toutes les raisons sont prêtes ; tous les lieux communs nous attendent. Il est presque inutile de lire un discours qui suit cette pente ; on sait d'avance ce qui sera dit, et c'est toujours la même chose. Quoi de plus facile que de craindre ?

Alain, Propos, 17 septembre 1927

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