De ce point de vue, la distinction classique entre témoignages volontaires et involontaires est pertinente. les premiers ont été constitués pour l'information de leurs lecteurs, présents ou futurs. Les chroniques, les mémoires, toutes les sources "narratives" relèvent de cette catégorie, mais aussi les rapports des préfets, les monographies des instituteurs sur leur village pour l'exposition de 1900, et toute la presse... Les témoignages involontaires n'étaient pas destinés à nous informer. M. Bloch* parle joliment de "ces indices que, sans préméditation, le passé laisse tomber sur sa route". Une correspondance privée, un journal vraiment intime, des comptes d'entreprise, des actes de mariages, des déclarations de succession, mais aussi des objets, des images, les scarabées d'or retrouvés dans des tombes mycéniennes, les débris de poterie jetés dans des puits du XIVe siècle, ou les ferrailles des trous d'obus, plus instructives sur le champ de bataille de Verdun que le témoignage volontaire (fabriqué et falsifié) de la tranchée des baïonnettes...
La critique de sincérité et d'exactitude est beaucoup plus exigeante à l'égard des témoignages volontaires. Mais il ne faut pas durcir la distinction, car l'habileté des historiens consiste souvent à traiter les témoignages volontaires comme involontaires, et à les interroger sur autre chose que ce qu'ils voulaient dire. Aux discours prononcés le 11 novembre devant les monuments aux morts, l'historien ne demandera pas ce qu'ils disent, qui est bien pauvre et répétitif; il s'intéressera aux termes utilisés, à leurs réseaux d'oppositions ou de substitutions, et il y retrouvera une mentalité, une représentation de la guerre, de la société, de la nation. M. Bloch, toujours, note avec humour à ce sujet que "condamnés à le connaître [le passé] par ses traces, nous parvenons toutefois à en savoir sur lui beaucoup plus qu'il n'avait lui-même cru bon de nous en faire connaître".